Jeunes aidants naturels

Les défis des jeunes aidants

Prendre soin d’un parent malade n’est pas chose simple. Prendre soin d’un parent qui souffre d’un trouble de santé mentale l’est encore moins. Surtout quand on est jeune aidant.

SECRET

« Quand un parent a un problème de santé mentale, l’enfant est souvent appelé à jouer un rôle d’aidant. Ça se fait dans le secret. Le parent, qui craint de perdre la garde de son enfant, ne veut pas ébruiter la chose », déplore Marc Boily, travailleur social et professeur à l’Université du Québec à Rimouski.

« De leur côté, les intervenants n’ont pas le réflexe de demander si le patient a un enfant à charge. Il n’y a aucun protocole de dépistage, déplore-t-il. Il faudrait que les enfants soient inclus dans les plans de soins. Ils ne sont pas identifiés, pas comptabilisés. » Ils sont tenus à l’écart, dans l’ignorance.

INQUIÉTUDE

En plus d’assumer des tâches « plus grandes que nature », ces jeunes aidants éprouvent une inquiétude constante, soit celle d’être retirés de leur foyer, de voir leur parent hospitalisé et leur famille dissoute temporairement. « Parce qu’ils craignent une crise en leur absence, ils se dépêcheront de revenir de l’école. Ils surveilleront étroitement la prise de médicaments. L’été, ils seront confinés à la maison », dit Marc Boily.

« S’ils ne sont pas soutenus, ces enfants courent davantage de risques de souffrir de problèmes de développement et troubles de santé mentale, insiste le professeur. Tout le monde se renvoie la balle et rien n’est fait. Il y a négligence communautaire, ça me révolte. » Le soutien aux mères avec jeunes enfants est inscrit dans le Plan d’action en santé mentale depuis 1998. « Rien n’a été fait depuis. Seulement quelques initiatives ici et là. »

SIGNALEMENTS 

Selon une étude exploratoire réalisée au Québec, 39 % des enfants à la charge de la Protection de la jeunesse (dont le signalement a été retenu) ont au moins un parent aux prises avec des troubles mentaux, souligne Marc Boily. « Si on agissait avant qu’il y ait détérioration du plan familial, on diminuerait le nombre de signalements. Ces familles ont besoin d’une aide qu’on ne leur offre pas. »

« Les jeunes aidants font parfois l’objet de signalement, mais ce ne sont pas des situations fréquentes, précise Michelle Dionne, directrice de la Protection de la jeunesse. Souvent, il ne s’agit pas de familles dysfonctionnelles, mais de familles qui traversent une période de crise. Notre premier réflexe est d’aider la famille. Si on n’a pas de raison de croire que l’enfant est en danger et que son développement est compromis, on va travailler à mobiliser les ressources de la famille. » Ainsi, les enfants sont rarement retirés de leur milieu.

PRÉVENTION

« Ces parents sont souvent capables de s’occuper de leurs enfants. Ils ont besoin d’aide quand ils vont moins bien, confirme Marc Boily. Quand un patient est désorganisé ou qu’il a des symptômes actifs de la maladie qui altèrent son fonctionnement, il va avoir de la difficulté à exercer son rôle de parent. Mais ça ne veut pas dire qu’il y a un risque de compromission pour la sécurité de l’enfant. »

L’expert aimerait qu’on intervienne en amont. « Certains patients sont épuisés, ils ont des symptômes douloureux. Quand la fatigue s’ajoute sur leurs épaules, la situation se détériore et les enfants écopent à leur tour. Parfois, une aide à domicile pour faire les repas ou le ménage suffirait pour alléger leur fardeau. » Et éviter la spirale.

MENTALITÉ 

Pour améliorer le vécu des jeunes aidants de tous horizons, il faudra d’abord que s’opère un changement de mentalité, croit Benjamin Weiss, de l’Université de Montréal. « En Amérique du Nord, quand un jeune adopte un rôle d’aidant, on parle de "parentification" de l’enfant, comme si les rôles étaient inversés. Ça crée à tort une vision négative de famille dysfonctionnelle. Au lieu de les stigmatiser, ne pourrait-on pas les aider ? »

TÉMOIGNAGE 

« À la mort de ma mère, j’ai appris qu’elle souffrait d’un trouble de personnalité limite. J’ai eu une belle enfance, mais on me disait que j’étais plus mature qu’elle. Elle était en conflit avec tout le monde, j’étais la médiatrice. J’ai quitté la maison à 17 ans, mais je recevais ses appels inusités à toute heure du jour. Je comprends maintenant pourquoi. » — Marie-Josée, 34 ans

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